La place de l’économie sociale et solidaire dans l’immobilier durable : Retour sur la table ronde de l’inauguration de WIKIVILLAGE

Face aux mutations du secteur, l’Économie Sociale et Solidaire joue un rôle clé dans la transformation de l’immobilier. Lors de l’inauguration de WIKIVILLAGE, une table ronde a exploré les défis et solutions pour un usage plus responsable et inclusif des espaces. Retour sur ces échanges inspirants.

Une rencontre essentielle pour un immobilier plus responsable

Le jeudi 12 décembre 2024, lors de l’inauguration de WIKIVILLAGE, tiers-lieu ETIC, trois tables rondes ont animé la soirée.

La première, intitulée « La place de l’Économie Sociale et Solidaire dans l’immobilier durable », a rassemblé des expert∙es du secteur pour échanger sur les enjeux, défis et solutions permettant d’allier immobilier et engagement social.

La table ronde « la place de l’ESS dans l’immobilier », se déroulant à WIKIVILLAGE

Interventions d’acteur∙rices du changement : un regard croisé sur l’avenir de l’immobilier durable

Aurélie Deudon : vers un immobilier d’activité en transition

Co-fondatrice et Directrice Générale de l’agence de prospective Ultra Laborans, Aurélie Deudon analyse les mutations économiques et sociétales et leur impact sur l’immobilier tertiaire. Face à la crise actuelle, elle plaide pour une hybridation des espaces et une prise en compte des acteur∙rices de l’ESS dans la transformation des territoires.

Floraine Jullian : « L’idée de ce temps d’échange, c’est de questionner la transformation de l’immobilier d’activité et de se poser la question de la place que peut prendre l’ESS dans cette transformation. Aurélie va commencer en nous expliquant ce qui se passe et ce qu’elle observe ? Est-on sur une période de crise ou un changement de paradigme beaucoup plus long ? »

Un immobilier tertiaire en crise

Selon elle, la vacance des bureaux atteint des sommets : 9 millions de mètres carrés vacants en France, dont 5 millions en Île-de-France :

« Nous ne sommes pas dans une situation favorable pour l’immobilier tertiaire, de plus nous sommes sur des immeubles qui sont obsolètes pour beaucoup, on parle de millions de mètres carrés d’immeubles obsolètes en Île-de-France. »

Une crise structurelle plutôt que conjoncturelle

Si la crise actuelle est aggravée par des facteurs conjoncturels, elle révèle surtout des mutations profondes du marché de l’immobilier :

« On ne peut pas parler d’une simple crise temporaire, mais d’une transition vers un nouveau modèle économique et immobilier. »

Les grandes mutations

Trois transitions majeures impactent l’immobilier :

  • Transition démographique : le pic de population active en France est attendu autour de 2035, ce qui réduit la demande en bureaux.
  • Transition environnementale : les limites planétaires sont atteintes, et l’immobilier doit réduire son empreinte écologique.
  • Transition numérique : l’accélération technologique bouleverse les modèles de travail.

Elle ajoute : « Aujourd’hui, ChatGPT a atteint 100 millions d’usager∙ères en seulement deux mois, contre 84 mois pour Internet. Cette rapidité d’adoption technologique génère une incertitude majeure. »

Des bureaux en perte de centralité

Le rapport au travail évolue :

« Dans les années 90, 80 % des Français∙es estimaient que le travail était très important dans leur vie. Aujourd’hui, nous sommes passés sous les 20 %. »

L’immobilier doit donc s’adapter à ces transformations. Deux tendances se dessinent :

  • L’hybridation des espaces : combiner bureaux, commerces et logements pour revitaliser le territoire.
  • L’ancrage territorial des entreprises : ouvrir les bureaux à la société civile et aux acteur∙rices locaux∙ales.

Afin de soutenir leur développement, Aurélie Deudon plaide pour des solutions immobilières adaptées, comme l’initiative « Surface Plus Utile », visant à alléger le poids de l’immobilier sur ces structures innovantes.

L’essentiel : « On assiste à une ouverture du bureau, qui n’est plus un lieu cloisonné, mais un espace d’engagement pour les entreprises. »

Marie-Tiffany Delgado : le foncier, un enjeu clé pour le réemploi solidaire

Directrice de la ressourcerie Les Ateliers LIGETERIENS (Tavers, Loiret), Marie-Tiffany Delgado participe à la table ronde en tant que membre de « Surface Plus Utile », une initiative du réseau national des Ressourceries Recycleries. Depuis 2024, ce réseau a rejoint l’Union du réemploi solidaire aux côtés d’Emmaüs France, ESS France, Le Recyclage et Le Coras, portant un plaidoyer national intégrant la question du foncier.

Floraine Jullian : « Marie-Tiffany œuvre pour le développement des ressourceries et recycleries sur le territoire. Elle va aborder les principales difficultés liées à l’accès au foncier pour ces structures. »

Le foncier, un levier de coopération locale

Pour les ressourceries et recycleries, majoritairement associatives, le foncier est un élément central de négociation avec les collectivités et, plus rarement, avec les entreprises :

« Nous avons l’habitude de travailler avec les acteurs et actrices locales, mais nous devons aller plus loin en engageant le dialogue avec les entreprises, notamment sur l’utilisation des bâtiments vacants. »

Ce rapprochement permet d’optimiser l’usage de ces espaces et de les transformer en lieux d’activité utiles aux territoires.

Briser l’individualisme pour favoriser les synergies

L’interconnaissance entre acteurrices est essentielle pour identifier les besoins et trouver des solutions communes :

« L’individualisme est un frein majeur. Nous devons encourager les habitant∙es, entreprises et associations à définir ensemble les besoins et les actions à mettre en place. »

Les rencontres entre différentes acteurrices permettent de croiser compétences et ressources pour rendre possible l’occupation et l’aménagement de nouveaux lieux.

L’adaptabilité des acteurrices du réemploi

Les espaces disponibles ne sont pas toujours conçus pour accueillir une ressourcerie, mais les structures de l’ESS savent s’adapter :

« Un espace peut sembler inadapté, mais nous trouvons des solutions : une grande hauteur sous plafond, une vitrine, un espace de plain-pied, chaque lieu peut répondre à des besoins spécifiques. »

Cette flexibilité permet d’imaginer des modèles hybrides et d’optimiser les usages des espaces vacants.

Les freins réglementaires et financiers

Malgré la volonté des collectivités et entreprises, les normes et réglementations constituent souvent un obstacle :

« Les normes ERP, les exigences environnementales ou encore la nécessité de rénover freinent la mise à disposition de locaux, même lorsque la volonté est présente. »

De plus, la précarité des baux et l’absence de financements pluriannuels fragilisent les projets de long terme.

L’essentiel : « Le foncier ne doit pas être un frein, mais un catalyseur de coopération entre acteur∙rices de l’ESS, collectivités et entreprises. »

La table ronde « la place de l’ESS dans l’immobilier », se déroulant à WIKIVILLAGE

Fabien Besson : Foncières solidaires et hybridation des espaces

Directeur du développement d’ETIC – Foncièrement Responsable, Fabien Besson œuvre à concevoir des espaces de travail durables et mutualisés pour les acteurrices de l’ESS. Son approche repose sur l’hybridation des usages, la mutualisation des espaces et une intégration forte au territoire, au sein de tiers-lieux.

Floraine Jullian : « Fabien, présent sur l’expérience de WIKIVILLAGE, va nous développer la présentation du projet et, plus globalement, la place que doivent, ou peuvent, occuper les foncières solidaires dans tout ce panorama. »

L’hybridation des espaces, une tendance croissante

WIKIVILLAGE est le huitième projet porté par ETIC et l’un des plus aboutis en matière d’hybridation :

« On observe une tendance continue à la mutualisation, à réfléchir l’espace par l’usage et non par la propriété. »

Aujourd’hui, plutôt que de posséder un bureau individuel de 50 m², les professionnelles acceptent d’occuper un espace plus réduit et de mutualiser les autres services. Cette approche répond aux évolutions post-Covid et à l’essor du télétravail, où les lieux de travail deviennent avant tout des lieux de rencontre et de collaboration.

Des espaces communs au cœur de nombreux usages

Depuis quelques années, ETIC a réorienté ses investissements vers les espaces communs :

« Le commun, c’est la place centrale : la machine à café, les espaces événementiels, les endroits où l’on se croise. C’est là où il y a le plus de demandes. »

Les nouveaux projets s’appuient sur cette dynamique pour concevoir des bâtiments qui favorisent les échanges et la vie de communauté.

Un ancrage territorial essentiel

Les foncières solidaires ne se contentent pas de construire des bureaux, elles répondent aux besoins d’un territoire :

« L’enjeu, ce n’est pas juste de poser un immeuble de bureaux, mais de créer un lieu qui s’adresse au territoire et à ses habitant∙es. »

L’objectif est de faire du bâtiment un support d’une communauté, en intégrant des services et en facilitant les interactions entre structures et habitantes.

Vers des lieux toujours plus ouverts

L’ouverture sur l’extérieur est un défi majeur pour les tiers-lieux :

« Si vous créez un bâtiment fermé, cadenassé, il n’a aucun intérêt. Il faut créer de la porosité, un poumon de quartier. »

C’est pourquoi les espaces comme WIKIVILLAGE cherchent à intégrer des restaurants, des lieux de santé ou d’autres services accessibles au public. L’arrivée prochaine sur site illustrera cette volonté d’ouverture et de dynamisation du quartier.

L’essentiel : « Les foncières solidaires doivent aller au-delà de la simple gestion d’espaces. Leur rôle est de créer des lieux hybrides, ancrés dans leur territoire, qui répondent aux besoins des structures de l’ESS comme à ceux des habitant∙es. »

WIKIVILLAGE – un tiers-lieu ETIC, inauguré le 12 décembre 2024

Florentin Letissier : l’immobilier solidaire, une priorité pour les collectivités

Adjoint à la mairie de Paris en charge de l’économie sociale, solidaire et circulaire, Florentin Letissier œuvre pour intégrer l’ESS dans les politiques publiques, notamment sur les questions immobilières. Si l’occupation temporaire reste un levier important, il plaide pour des solutions pérennes et une meilleure régulation des locaux vacants.

Floraine Jullian : « Au vu de son expérience, Florentin Letissier va aborder quelles sont les perspectives pour donner plus de place à l’ESS dans l’immobilier, tout en tenant compte des contraintes des propriétaires et des collectivités. »

L’occupation temporaire, un levier efficace

L’urbanisme transitoire est un outil clé pour redonner vie aux espaces vacants :

« Avec des projets comme les Grands Voisins ou Césure, nous avons pu offrir des locaux accessibles aux acteur∙rices de l’ESS »

Ces occupations temporaires permettent d’optimiser les périodes entre deux opérations d’aménagement et de dynamiser les quartiers.

Des loyers adaptés pour pérenniser les projets de l’ESS

Si l’occupation temporaire est une solution, la pérennisation des espaces pour l’ESS reste un défi. La Ville de Paris agit en subventionnant des bailleurs comme la RIVP pour proposer des loyers réduits aux structures de l’ESS :

« Cela permet d’implanter aussi bien des petites initiatives locales, comme des ressourceries, que des projets d’envergure comme la Manufacture textile Berliet. »

L’ESS, un pilier des politiques locales

L’ESS est intégrée aux grandes stratégies de la Ville de Paris, du Plan Local d’Urbanisme au Plan Climat Air Énergie :

« Si nous voulons atteindre nos objectifs environnementaux, nous devons transformer l’économie vers plus de responsabilité sociale et écologique. »

Mais les collectivités se heurtent à un manque de soutien de l’État.

Les freins structurels et le besoin de régulation

Le manque d’informations sur les locaux vacants complique leur mise à disposition :

« Il faudrait légiférer : laisser un espace inutilisé sans raison ne devrait pas être permis. »

La France peine à donner à l’ESS la place qu’elle mérite, contrairement à d’autres pays tels que l’Espagne, où elle bénéficie d’un véritable ministère :

« Chez nous, on se satisfait d’un secrétaire d’État, alors qu’ailleurs, c’est un portefeuille majeur. »

L’essentiel : « L’ESS ne doit pas être un simple complément, mais un moteur central de la transformation urbaine. »

Cette table ronde a donc mis en lumière un enjeu crucial : la lutte contre le gaspillage immobilier.

Qu’il s’agisse d’occupation temporaire, d’adaptation des loyers ou de régulation plus stricte, une chose est certaine : nous devons repenser l’usage des espaces vacants pour répondre aux besoins des acteurrices de l’ESS. Comme l’a souligné Floraine Julian, une proposition de loi transpartisane est en cours d’élaboration pour mieux définir, comptabiliser et mobiliser ces espaces au service de l’intérêt général.

Et si demain, il nous semblait aussi absurde de laisser un bâtiment vide que de jeter des invendus alimentaires ?
L’échange d’aujourd’hui ouvre la voie à d’autres réflexions essentielles.

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